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Dominique Bonny, distillateur

L’histoire de la distillerie en pays vaudois

12.03.2021 / FAO n° 21

L’histoire de la distillerie en pays vaudois
Dominique Bonny effectuant une première mesure pour connaître le volume d’alcool de son eau-de-vie, à l’aide du tube éprouvette et de l’alcoomètre à graduation.
Crédit photos: ©Anne-Lise Vuilloud

Si l’on connaît bien les eaux-de-vie du Valais – popularisées par les Williamine et Abricotine de la Maison Morand – si l’absinthe du Val-de-Travers (NE) n’a plus de secret pour personne depuis sa légalisation en 2005 après quasiment un siècle de clandestinité, et si la Damassine (JU), l’eau-de-vie de poire à botzi (FR) et le kirsch (ZG) ont hérité de dignes AOP, le canton de Vaud peine à faire valoir sa production distillée. Plus discrète, mais non moins goûteuse, elle recèle d’historiques eaux-de-vie comme celle de gentiane en altitude, celles de fruits dans l’arrière-pays (pommes, poire, cerises, prunes et pruneaux) et celles de lie et de marc dans nos régions de vignoble.

En 1965, on comptait une soixantaine de distillateurs dans le canton: la production la plus courante était alors la distillerie «à façon», réalisée par des bouilleurs de cru dans des installations ambulantes pour le compte de paysans, jadis les plus importants producteurs d’eau-de-vie. Aujourd’hui, ils sont supplantés par une petite dizaine de distillateurs professionnels qui sont tenus de produire au moins 200 litres par an. Et contrairement au vin, exonéré d’impôt, celui prélevé sur les spiritueux se monte à 29 fr. par litre à 100% volume et se règle avant la vente des bouteilles…

La «fée jaune» des vaudois

Limitée dans certains cantons, on trouve la gentiane à foison dans le Jura vaudois, notamment à la Vallée de Joux. Cette plante aux fleurs jaunes, qui a la particularité de ne pousser que vers mille mètres d’altitude, s’y épanouit dans un milieu sylvopastoral. On récolte sa racine manuellement, à l’aide d’un pic ou d’une pioche, une épreuve de force dans ce pays calcaire où celle que l’on surnomme la «fée jaune» – en hommage à l’absinthe du Val-de-Travers – prend parfois la place du bon herbage et agace certains éleveurs… «Le travail de l’arracheur permet en quelque sorte l’assainissement des alpages» résume, philosophe, Dominique Bonny, distillateur aux Charbonnières (lire portrait page précédente).

La récolte se fait à l’automne. Une fois la racine lavée puis broyée, elle est mise à fermenter dans des fûts durant environ deux mois. Ce n’est qu’en décembre qu’a lieu la double distillation selon une technique ancestrale, gage de qualité pour Dominique Bonny qui possède deux alambics de 1947. D’abord, la racine fermentée est chauffée dans l’alambic pour obtenir un premier distillat: la «blanche» ou «flegme», à 20% d’alcool. Un second passage permet la distillation fractionnée: d’abord l’«alcool de tête» (toxique et bon à jeter), puis l’«alcool de cœur» (l’éthanol qui servira à l’eau-de-vie) puis enfin l’ «alcool de queue» de qualité supérieure, «que l’on garde pour varier le goût et faire des assemblages». À la sortie de l’alambic, il faut stocker le distillat provisoirement dans des cuves avant d’en réduire le taux d’alcool pour la mise en bouteille en y ajoutant de l’eau distillée. Tout un art pour passer, sans ruiner les goûts, de 65 à 45%: «sinon ça vous emporte!»

«Y’a pas que d’la pomme»

On associe souvent à tort distillation et eau-de-vie. Elle n’est pourtant que le nom d’un processus fort ancien qui permet la séparation des constituants d’un mélange homogène. Et si fruits et plantes ont donné de gouteux alcools, ils sont aussi à l’origine d’un distillat ayant meilleure réputation pour la santé : les huiles essentielles et leurs hydrolats.
À la distillerie de Bassins sur les hauts de Nyon – la plus grande de Suisse et la seule du canton depuis 1975 –, on produit environ une tonne d’huiles essentielles par an pour alimenter une petite partie du marché de l’aromathérapie, des arômes alimentaires, de la parfumerie et de la cosmétique.

Si l’entreprise est familiale, ce sont trois alambics industriels de 4 m3 chacun qui accueillent des cargaisons d’herbes aux doux noms parmi lesquels l’angélique, la camomille romaine ou la mélisse citronnée. C’est que, pour produire un kilo d’huile, il faut une tonne de végétal. Un rendement assez bas, compensé par la «rapidité» du processus puisque contrairement à l’alcool, les huiles ne demandent aucune fermentation.

 


À Bassins, on distille les fleurs pour en faire des huiles essentielles et des hydrolats. Ici, la monarde géraniol réputée pour ses propriétés immunostimulantes et antivirales.
Crédit photos: ©DR

XIXe siècle
Considérée comme «coupe-faim», voire comme «fortifiant» pour assurer des conditions de travail difficiles dans les classes ouvrières et rurales, l’eau-de-vie – assimilée à une véritable «peste» par les autorités – se propage.
1887: création de la Régie fédérale des alcools (RFA), imposition sur les boissons spiritueuses, interdiction de la distillation de pommes de terre et de céréales.

XXe siècle
Jusque dans les années 1980, on encourage la consommation des produits agricoles sans distillation, et de vastes campagnes de sensibilisation sont menées. Les eaux-de-vie comme le whisky ou le rhum sont importés et deviennent le symbole de la classe aisée.
1932: la Confédération détient le monopole de la production de boissons distillées.

XXIe siècle
Les années 2000 sont marquées par une volonté de réduire les importations de spiritueux avec notamment la suppression, en 1999, de l’interdiction de distiller pommes de terre et céréales qui ouvre un nouveau champ des possibles pour certains alcools comme la vodka, le whisky ou le gin.
2018: la RFA est remplacée par l’Administration fédérale des douanes